Page 256 - Prépadalf C1 élève

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arrive de la frôler ; souvent nous en avons peur. Tandis qu’on ne
frôler : toucher légèrement
Vie et mort
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devient pas vieux en un instant. [...] À 20 ans, à 40 ans, me penser
stupéfait : très étonné, sans
réaction face à une surprise
vieille, c’est me penser autre. Il y a quelque chose d’effrayant
dans toute métamorphose. J’étais stupéfaite, enfant, et même
incrédule : difficile à
angoissée quand je réalisais qu’un jour je me changerais en
convaincre
fondre : se précipiter sur, grande personne. Mais le désir de demeurer soi-même est
généralement compensé dans le jeune âge par les considérables
s’abattre
avantages du statut d’adulte. Tandis que la vieillesse apparaît
comme une disgrâce : même chez les gens qu’on estime bien
conservés, la déchéance physique qu’elle entraîne saute aux yeux.
Car l’espèce humaine est celle où les changements dus aux années
sont les plus spectaculaires. Les animaux [...] s’affaiblissent, ils ne se
REPÈRES
TRAIT D UNION Entre l’EHPAD TRAIT D UNION TRAIT D UNION TRAIT D UNION
métamorphosent pas. Nous si. [...] Devant l’image que les vieilles
gens nous proposent de notre avenir, nous demeurons incrédules ;
Vieillesse et
une voix en nous murmure absurdement que ça ne nous arrivera
dépendance
pas : ce ne sera plus nous quand ça arrivera. Avant qu’elle ne
(Établissement
autres. Ainsi peut-on comprendre que la société réussisse à nous
d’hébergement pour fonde sur nous, la vieillesse est une chose qui ne concerne que les
personnes âgées détourner de voir dans les vieilles gens nos semblables.
dépendantes) ou le domicile, 6 Cessons de tricher, le sens de notre vie est en question dans

9 Français sur 10 choisissent l’avenir qui nous attend ; nous ne savons pas qui nous sommes,
l’aide à domicile. D’abord, si nous ignorons qui nous serons. [...] Du coup, nous n’accepterons
à cause de la mauvaise plus avec indifférence le malheur du dernier âge, nous nous
réputation de certaines
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TRAIT D UNION maisons de retraite (prise le système d’exploitation dans lequel nous vivons. Le vieillard, TRAIT D UNION
sentirons concernés : nous le sommes. Il dénonce avec éclat
en charge insatisfaisante,
incapable de subvenir à ses besoins représente toujours une
maltraitance). Et puis,
charge. Mais dans les collectivités où règne une certaine égalité –
à cause du fait que ces
établissements sont de plus
primitifs – l’homme mûr, tout en ne voulant pas le savoir, sait
en plus médicalisés parce à l’intérieur d’une communauté rurale, chez certains peuples
qu’ils accueillent les cas cependant que sa condition sera celle qu’il assigne aujourd’hui
les plus lourds, et de la au vieillard. [...] Quant aux sentiments humanitaires, en dépit de
difficulté d’y trouver une bavardages hypocrites, ils n’interviennent pas. L’économie est
place. basée sur le profit, c’est à lui pratiquement que toute la civilisation
est subordonnée : on ne s’intéresse au matériel humain que dans
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la mesure où il rapporte. Ensuite, on le jette. [...]
7 On nous raconte que la retraite est le temps de la liberté et des

loisirs ; des poètes ont vanté « les délices du port »*. Ce sont des
mensonges éhontés. La société impose à l’immense majorité des
assigner : attribuer, imposer
GÉNÉRATIONS GÉNÉRATIONS vanter : louer, glorifier pauvre » constitue presque un pléonasme ; inversement : la plupart
vieillards un niveau de vie si misérable que l’expression « vieux et
des indigents sont des vieillards. Les loisirs n’ouvrent pas au
éhonté : scandaleux
retraité des possibilités neuves ; au moment où il est enfin affranchi
indigent : qui manque des
des contraintes, on ôte à l’individu les moyens d’utiliser sa liberté.
choses les plus nécessaires à la
Il est condamné à végéter dans la solitude et l’ennui, pur déchet.
vie, pauvre
Que pendant les quinze ou vingt dernières années de sa vie un
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ôter : enlever, retirer
homme ne soit plus qu’un laissé-pour-compte, cela manifeste
l’échec de notre civilisation : [...] c’est l’exploitation des travailleurs,
végéter : vivre au ralenti,
c’est l’atomisation de la société, c’est la misère d’une culture
vivoter
réservée à un mandarinat qui aboutissent à ces vieillesses
mandarinat : pouvoir arbitraire
détenu par des intellectuels déshumanisées. Elles montrent que tout est à reprendre, dès
influents le départ. C’est pourquoi la question est si soigneusement passée
Honorat de Bueil de Racan sous silence ; c’est pourquoi il est nécessaire de briser ce silence.
(1589-1670) : poète et écrivain * L’expression est du poète Racan (1589-1670).
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254 français Simone de Beauvoir, La Vieillesse, Paris, Gallimard, 1970
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